ANAÏS HEUREAUX // Créatrice textile

Passionnée par l’histoire de l’art, la peinture et la philosophie, avec une attirance pour le travail manuel, Anaïs Heureaux passe son Bac L à Dijon avec l’option Études arts plastiques. Elle se dirige vers la chapellerie, fascinée par le rapport maître/apprentie mais les enseignants comprennent rapidement qu’elle peut aller au-delà d’un travail manuel et la poussent à poursuivre ses études dans les écoles d’art. Elle passe le concours de l’EnsAD dans l’idée de rentrer dans le département Design Vêtement, cohérent avec sa pratique. Mais la scénographie s’est imposée comme une évidence. “J’ai mûri le rapport du corps dans l’espace tout au long de mes études.”Elle trouve la possibilité de côtoyer les autres disciplines dans l’école comme un enrichissement. “Nous sommes confrontés à des pratiques différentes, notre pratique du théâtre est alimentée par toutes les autres disciplines des arts appliqués.”

Depuis plusieurs années, elle pratique la danse Butô, une discipline très exigeante où le corps se trouve être d’abord une matière. Ce mode influence sa pensée scénographiqueet l’amène à écrire un mémoire sur les rites funéraires, sous la direction de Raymond Sarti. Elle propose alors, pour son travail de fin d’études en 2013, une performance basée sur le rituel du banquet à partir des extraits deL’Espace furieux deValère Novarina. Elle présente son travail dans une salle de peinture en lumière naturelle. “Je m’intéresse à la question de la spiritualité et des rituels dans nos mondes modernes. C’est à l’art de prendre en charge cet aspect de la vie. Par exemple, je trouve qu’à notre époque la technologie est devenue une forme de religion sans être nommée comme telle.”Elle développe cette approche dans son travail personnel, plutôt de la performance que du théâtre. Sa vision du théâtre est plus proche d’Antonin Artaud, dans un éclatement de la scène et une distanciation. Ainsi, elle va être en résidence à la Guéroulde, organisée par l’association La Source, où elle va créer des banquets avec les enfants. Ces festins n’ont pas une esthétique religieuse mais davantage festive et gargantuesque où le rapport au corps devient fondamental.

Sa rencontre à l’École, en deuxième année, avec Marguerite Bordat a été essentielle. Elle devientsastagiaire pour la pièce de Rabah Robertde Lazare. Puis elle participe à trois spectacles mis en scène par Pascal Kirsch, d’abord comme son assistante puis comme sa collaboratrice. Pauvreté, Richesse, Homme et Bêtea été un spectacle important et une vraie aventure théâtrale. Le travail sur le conte dans une petite jauge et le rapport direct avec la scène de plain-pied créant une intimité lui plaisent particulièrement. “Je ne suis pas à la recherche du spectaculaire mais plutôt chuchoter à l’oreille.” Elle s’est aussi occupée de la tournée. C’était un bon apprentissage. “Le théâtre est un système bien précis avec des codes techniques, les coulisses, les perches, … Il faut bien connaître l’appareil pour l’oublier et en sortir.”Suivent les pièces Gratte-ciel, un spectacle de fin d’études de l’ENsaD, puis La Princesse Maleine présentée en Avignon et qui sera reprise cet automne à laMC93.

Dans sa collaboration avec le chorégraphe Toméo Vergès sur Primal, elle s’est sentie très à l’aise comme scénographe de danse, dans ce choc entre matériaux et corps. Un énorme tas de cheveux devenait une sorte de chimère où les corps roulaient et créaient des personnages tribaux, des arbres avec des crochets de boucher et des monstres. Elle a retrouvé une vraie horizontalité entre la danse et la matière.

Anaïs Heureaux se dit scénographe plasticienne. Les lieux et ce qu’ils dégagent influencent sa création. Elle veut avoir la possibilité de jouer dans un théâtre, une église ou une galerie d’art. “Il y a de la théâtralité dans l’art plastique et de l’art plastique dans le théâtre, c’est perméable. Dans ma pratique personnelle, la pensée scénographiqueet la théâtralité sont toujours présentes.” Elle préfère les méthodes de travail peu conventionnelles et aime réfléchir avec les acteurs. “Être disponible, accepter d’être fragile. Il n’existe pas de geste scénographique séparé du travail du plateau. La création se fait ensemble, pas au sens d’une création collective mais dans une réflexion commune pour le travail théâtral. Lorsque cette qualité d’écoute existe, j’ai alors raison de faire du théâtre !